Benoît : Le retour de Kangiqsualujjuaq se faisait sur les ailes de Air Inuit qui dessert les communautés du Nunavik en passant par Montréal, Sept-Îles, Schefferville et ailleurs au Québec. Vendredi matin notre départ a été retardé par des vents violents. Notre pilote, une femme à la chevelure bouclée blonde, a finalement décollée notre rutilant Twin Otter avec dix-huit braves à bord. Malgré les soubresauts, elle menait son appareil de main de maître. Nous volions à très basse altitude afin d’éviter les bourrasques. Assis près de moi un jeune menuisier de Mont-Joli venait de compléter 54 jours de travail de suite à raison de 10 heures par jour. Peu de loisir si ce n’est la télé ou les jeux vidéos. Je lui demande s’il s’est fait une copine au village. Il me dit que le règlement lui interdit tout contact avec les Inuits, même de manger dans les familles. Lorsque qu’il me voit surpris, il rajoute: « la plupart des enfants métis du village sont issus de contact avec d’anciens employés de la construction de passage ». La correspondance est assez rapide à Kuujuaq avec du personnel très accueillant. Lorsque je me rends compte que nous passerons au détecteur de métal, j’ai encore mon couteau à la ceinture. Aussitôt celui-ci remis dans mon bagage, nous repartons sur un gigantesque Dash-8 d’une trentaine de places, à destination de Schefferville. Nous avons même une agente de bord. Le vol est calme et je dors comme un bébé.
Nous séparons ici le groupe. Pierre-Marc, Raymond et Étienne retournent dans leur plumard douillet. Gérald et moi se dirigeons vers Sept-Îles sur un exigu Beechcraft de 8 places ! L’appareil est minuscule et je suis assis derrière la co-pilote. Je peux presque toucher les commandes de l’avion. Le vol est très paisible et je continue mes rêves. Pendant une autre semaine Gérald et moi continuons notre bénévolat en allant faire de la plongée sous-marine avec notre groupe scout sur la Côte-Nord. Gérald anime depuis une vingtaine d’années des jeunes garçons et filles de 15 à 17 ans. Pour ma part, je suis impliqué depuis 6 ans. Mon fils Antoine fait parti du groupe et j’ai très hâte de le revoir. Notre année a été investie à la formation pour la plongée et nous en ferons plusieurs aux îles Mingan, à Sept- Îles, Baie Comeau et aux Escoumins. Nous en profiterons pour aller visiter le barrage de la Manicouagan et marcher aux Monts Groulx. Une autre semaine reposante avant le retour au travail!
Depuis mon retour de rivière, une maladie que l’on appelle le « River Blues », a subrepticement commencée ses ravages. Je connais plusieurs adeptes de longue descente qui en sont atteints. Ce mal s’installe souvent quelques heures après le retour et dure jusqu’à une semaine. Tous vos sens sont affectés et vous réalisez que le monde qui nous entoure est bruyant, terne et matérialiste. Cette affection me rend conscient de l’existence entre autre de l’eau courante, du cabinet d’aisance, des appareils électroménagers et de la musique… banalités que j’avais prises pour acquis avant mon sevrage de 3 semaines. À votre retour la chose la plus difficile à accepter est probablement votre reflet dans une glace. Vous qui preniez un soin constant de votre image en vous assurant plusieurs fois par jour que votre personne soit la plus impeccable possible, vous vous rendez compte des cicatrices de piqûres ornant votre front semblable à de l’acné, que vous êtes bronzé style habitant (le visage et les mains couleur chocolat mais le reste du corps plus près du lait), les lèvres fendillées et une barbe remplie de poils blancs qui vous donne un coup de vieux. Après avoir si longtemps couché à la belle étoile et dans des camps de fortune, vous avez maintenant vraiment l’air d’un vagabond. La température ici est de 25 degrés et aucune mouche ne m’importune. L’eau est à 4 degrés, froide comme la George. Les jeunes sont rayonnants mais mon coeur est encore là-bas. Encore 7 jours à souffrir du blues…
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